Tim Burton attaque avec sa soucoupe affolante

Le réalisateur de ” L’étrange Noël de M. Jack ” fait un beau tam-tam avec le formidable ” Mars Attacks “.


Les cheveux coiffés avec trois gouttes de nitroglycérine, le réalisateur US Tim Burton ressemble à une asperge noire poussée dans un cimetière. Cet artiste, courageux et doux, déjanté et sérieux, au-delà de l’immense plaisir qu’il donne, a aussi une réflexion sur le monde. Entretien.

Dévoiler la magie tue la poésie, mais comment fonctionnent vos Martiens ?
Nous avons créé de grandes marionnettes que je voulais filmer image après image, geste après geste, une technique ” old fashion ” utilisée dans ” L’Etrange Noël de M. Jack “… Ces pantins étaient inspirés par une cinquantaine de vignettes d’extra-terrestres colorés et très méchants que les gosses collectionnaient, dans les années 60, en achetant du bubble-gum. Mais filmer image après image prend du temps. Alors, nous avons scanné sur un ordinateur chaque point et chaque trait de mes pantins pour pouvoir les animer de manière digitale.

Au-delà de vos inventions hallucinées, ” Mars Attacks ” traite de la non-communication.
Les politiques ne communiquent plus avec le peuple, les artistes ne discutent pas avec les scientifiques car ils n’ont pas de langage commun, mes Martiens ont une idée fixe – conquérir la Terre – et le président des Etats-Unis une autre – se faire réélire en accueillant les E.T. Le monde, aujourd’hui, est divisé entre psychorigides, imaginatifs révoltés et lobotomisés, ces derniers comptant pour du beurre et traités comme de la m… Les psychorigides font semblant, poliment, d’accepter la discussion, mais, à la fin, il faut toujours leur dire oui et obéir, ils ne conçoivent pas qu’ils peuvent avoir tort. Dans mon film, pour les Martiens, ” 1 + 1 = conquérir la Terre “; pour le Président c’est ” 1 + 1 = gagner les élections “. Ces deux additions en s’additionnant… soutirent au monde les pires bêtises. Nous subissons les règles arbitraires de la psychorigidité qui rouillent nos sociétés, ça craque de partout comme un gigantesque robot tombé dans l’acide de la routine. Le rôle de l’artiste est de flanquer la pagaille dans ces systèmes : montrer que le cerveau humain sécrète, aussi, des merveilles d’imagination et de liberté. Qui délire ? Les artistes qui ouvrent de nouvelles frontières ? Ou les puissants qui ferment les portes ?

La Joconde et Bugs Bunny, même combat ?
Cessons de classer les oeuvres humaines. Le David de Michel-Ange fait partie de notre imagerie aussi bien que la silhouette de Charlot. Ne fermons pas le tiroir de l’armoire de la culture populaire, il suinte de créativité et laisse échapper le fantôme de nos rêves… Quand on rêve, la nuit, on songe plus à Betty Boop qu’à Cézanne, non ? Aujourd’hui, les architectures novatrices sont bâties à Las Vegas, la ville virtuelle, alors que Vegas est aussi un foutoir complètement décrié.

Comment créez-vous ?
Je me noie dans mes illusions, me laisse larmoyer sur mon enfance solitaire dans un bourg de ploucs aux environs de L.A. où les salles de ciné étaient la seule échappatoire. Et d’étranges créatures viennent me tendre un mouchoir !

Comme le Tati de ” Play Time “, vous bourrez vos images de détails intéressants presque invisibles. Comme le Fellini d’” Amarcord “, vous vous servez de souvenirs pour créer du neuf en une alchimie qui produit un révélateur sur le monde d’aujourd’hui – votre ” Edward aux mains d’argent ” annonçait la vague des marginaux…
Oui, j’utilise des détails quasi subliminaux pour que mes films travaillent dans la tête du public après la vision. Et, oui, je fouille dans les poubelles de mon enfance pour en extraire des débris et, comme Frankenstein, créer un beau monstre original !

Refuser l’état d’adulte en étant obligé de l’être pour survivre engendre des failles. Après ” Batman 2 “, vous avez eu une petite dépression.
Hollywood est à la fois une jungle et une cage dorée pour canaris verts (verts comme les dollars) ! Elle est un cocon et une prison. J’y suis un réalisateur à succès avec mes ” Batman ” et un auteur marginal avec ” Ed Wood ” ou ” Mars Attacks “, cela crée une faille dans ma personnalité, d’autant que le succès des ” Batman ” est basé sur un malentendu : le spectateur US n’y voit pas mes hymnes à la différence ou à la folie, mais uniquement les scènes d’action ! Piocher dans la mine de son enfance fait s’écrouler des galeries de chagrin, de frustration et de déception. D’où la dépression. Dont je suis sorti en rencontrant Lisa Marie, la Vampira d’” Ed Wood ” et la femme martienne de “Mars Attacks”, qui est mon âme soeur, mon amante en révoltes.

Aimeriez-vous être un Martien ?
Hollywood croit déjà que je suis un Martien !

Le macabre du trépas hante vos films. Crainte de la mort ?
Je m’y habitue car je suis sûr que des ” choses ” d’hier vivent en nous ou hantent nos rues. Oui, des fantômes ou des E.T. sont déjà venus sur Terre puisque, depuis des milliers d’années, ils ont été conceptualisés par notre cerveau reptilien qui doit se souvenir de faits bien précis, non ? Quelque chose règle l’univers. Et ce ” quelque chose ” est en nous, ” dieu ” est dans les gènes que nous transmettons de génération