Interview d’Andy Gent animateur stop-motion

L’animation stop-motion, ou la technique la plus longue pour réaliser un film, a été amenée au cinéma pour la première fois grâce à L’Etrange Noël de Monsieur Jack puis remise au gout du jour avec Les Noces Funèbres. Technique de prédilection de Tim Burton ainsi que d’autres réalisateurs tels que Wes Anderson, Tim-Burton.net vous propose de découvrir ce qui se cache derrière la petite porte de l’animation image par image avec l’interview d’Andy Gent.
Retrouvez notre dossier complet sur la stop-motion ici.

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Peux-tu te présenter et nous parler des principaux projets sur lesquels tu as travaillé, ainsi que des projets personnels qui t’occupent au quotidien ?

Je m’appelle Andy Gent et je dirige Arch Model / Arch Film Studio, une compagnie de fabrication de miniatures et un studio de cinéma, situé dans l’est de Londres. Ces 25 dernières années, j’ai eu la chance de collaborer avec des réalisateurs incroyables, sur plusieurs merveilleux projets : Tim Burton (Les Noces Funèbres, Frankenweenie et Miss Peregrine et les Enfants Particuliers), Henry Selick (Coraline), Wes Anderson (Fantastic Mr Fox, Grand Budapest Hôtel, L’île aux Chiens, The French Dispatch), mais aussi sur Anne Frank, de Harry Forman et sur le film The House, pour Netflix.

Quant à mes projets personnels nous développons constamment des petites idées par ci, par là. En ce moment je travaille à l’atelier sur un court-métrage en animation stop-motion Police Operator, ainsi que sur une adaptation d’un poème d’Edward Lear.

 

Comment as-tu découvert l’animation en stop-motion ?

J’ai fait mes études à l’université de Kingston entre 1991 et 1994 où j’ai eu la chance inouïe d’être sous la tutelle de Ron Miller, un formidable professeur qui m’a beaucoup encouragé et qui avait travaillé sur quelques classiques du cinéma tournés aux Shepperton Studios. Le plus célèbre étant Une Question de Vie ou de Mort (1946) en tant que cameraman. Il m’a conseillé de transposer mes créations 3D – majoritairement des marionnettes articulées et des décors pour des livres illustrés pour la jeunesse – en courts-métrages d’animation. C’est là que j’ai attrapé le virus de la stop-motion.

 

Création des personnages, des marionnettes, animation… sur quelle étape d’un projet en stop motion préfères-tu travailler et laquelle représente le plus de défis ?

La lecture du scénario est une étape très excitante car on n’a encore aucune idée de ce qu’on exigera de nous à ce moment-là. Quand on lit un livre, l’instant le plus magique, c’est quand on l’ouvre pour découvrir l’histoire. L’étape de création que je préfère est certainement la phase de sculpture. C’est là que tout prend réellement forme et c’est l’un des moments où les choses les plus fantastiques se produisent. On peut ressentir un frisson similaire en dessinant, mais là on parle d’objets en trois dimensions, d’animation image par image, et c’est ce qui rend la phase de sculpture si grisante. Ceci étant dit, quand on fait face au résultat final, à tout ce qui donne aux marionnettes leurs spécificités et leurs détails – finitions des costumes, de la peinture, des accessoires, etc. – il est difficile de ne pas être satisfait de toutes les étapes de leur création.

 

Tu as travaillé avec Wes Anderson et Tim Burton, deux réalisateurs qui alternent films live et animation en stop motion, mais qui incluent également des séquences animée image par image dans leurs long-métrages classiques. Peux-tu nous parler davantage de ces expériences ?

Selon moi, ces sont deux réalisateurs qui ont un amour absolu pour ce type d’animation. Naturellement, ayant lui-même été animateur chez Disney, Tim Burton a un long passif avec la stop motion, et ce depuis Vincent, son premier fabuleux court-métrage. Tout comme Wes, qui montait des spectacles de marionnettes à l’université, et il est évident que l’aspect propre à la stop-motion, ainsi que sa capacité de donner vie à nos rêves les plus fous, l’ont forcément porté vers ce médium. Je pense que la raison pour laquelle ils sont tous les deux aussi attirés par la stop-motion, c’est parce qu’ils aiment créer des mondes et des personnages fantastiques dans le cadre d’histoires très particulières.

 

Leurs approches respectives des techniques d’animation diffèrent-elles beaucoup ? 

Oui, énormément ! Ils ont une manière très différente d’aborder les choses, car ils n’ont pas du tout la même sensibilité. C’est le jour et la nuit ! Tim possède un langage particulièrement porté sur le visuel, ce qu’on nomme souvent le look étiré ou aplati. Dans son oeuvre, on retrouve de nombreuses formes biscornues, très précises et exagérées, donc c’est plutôt amusant. Bien sûr, Miss Peregrine a amené tout ça sur un terrain différent et bien plus sombre, qui était une forme d’hommage à Ray Harryhausen et certains réalisateurs de son époque. Quant à Wes, il aime tout ce qui touche au pré-numérique, aux techniques plus traditionnelles et aux objets qui donnent l’impression d’avoir été fabriqués à la main et manipulés. Il préfère l’animation plus lisse mais reste très porté sur la recherche de détails.

 

Dans Miss Peregrine, Tim Burton adresse un énorme clin d’oeil au Titan des effets spéciaux, Ray Harryhausen, via la scène des squelettes, mais aussi en incluant une véritable séquence en stop motion que tu as toi-même animé. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?

J’avais déjà travaillé avec Tim par le passé, sur Les Noces Funèbres d’abord, puis plus étroitement sur Frankenweenie. Et donc, quand la pré-production de Miss Peregrine a débuté, le chef accessoiriste David Balfour et son producteur m’ont passé un coup de fil pour me demander si je pouvais passer venir aider à la réalisation d’une séquence entièrement animée en stop-motion. Je suis allé voir Tim et on a passé un merveilleux moment à discuter et planifier cette scène façon Ray Harryhausen, où deux marionnettes mortes-vivantes s’affrontent façon L’Île Mystérieuse. Il n’y avait rien à jeter avec une idée pareille !

J’ai demandé à Tim s’il songeait à quelqu’un pour chorégraphier ce combat et il m’a répondu que non. Comme j’avais déjà chorégraphié des scènes de combats plusieurs années auparavant, j’ai signalé que j’adorerais animer celle-ci. Tim a simplement répondu: “Bon, c’est d’accord. Tu connais mes goûts !”

Au fil des ans, j’ai eu la chance de travailler avec des gens formidables et je n’ai eu aucun mal à constituer pour ce projet une petite équipe faite des meilleurs maquettistes, animateurs, réalisateurs et spécialistes d’effets visuels dont on puisse rêver. Nous avons attentivement suivi le tournage principal, puis nous nous sommes littéralement emparé du plateau, car tout devait être raccord. Nous avons emmené le décor dans un studio –  où moi-même et le chef de l’animation Darren Walsh, déguisés en Dolly et Crab, avons répété la scène – puis j’ai chorégraphié le combat sur le parking à l’extérieur. Nous avons filmé la scène, calquée sur les mêmes angles de caméra que le tournage principal pour que cela ait du sens. Le résultat a été montré à Tim pour validation et nous avons filmé l’animation définitive. Et je suis ravi de pouvoir dire que la prise a été conservée telle quel dans le film, plan pour plan !

 

Peux-tu nous parler des différences de travail entre un film d’animation en stop motion et un film live ?

Pour mon plus récent projet, L’Île aux chiens, j’ai été impliqué dès le départ. Nous étions le premier département à être à la fois chargé du design, des sculptures et de l’aspect général des personnages. Cela demande une longue étape de préparation et de design. Comme nous partions de zéro, nous ne pouvions strictement rien commencer tant que nous n’avions pas toutes les pièces du puzzle. Je devais lire le script, puis fabriquer une marionnette dont je devais répertorier toutes les actions et problèmes d’échelles éventuels, les émotions demandées, et enfin assembler une équipe pour planifier la construction de la marionnette définitive. Sans cela, les départements des décors et les autres ne peuvent pas débuter leur travaux et les animateurs n’ont rien pour travailler. De plus, on est souvent impliqué jusqu’au bout du tournage car les armatures de nos personnages ont souvent besoin d’ajustements et il faut qu’on soit là pour répondre à toutes les demandes les plus farfelues. Les marionnettes doivent rester propres et en bon état, et on doit aussi s’assurer que notre hôpital à marionnettes soit opérationnel du début jusqu’à la fin du tournage pour que tout se déroule sans accroc.

 

Sur un film live, notre intervention se passe plus en douceur, car une bonne partie du projet est déjà entamée – design, casting, et construction des décors. Nous découvrons alors les petits travaux qui nous incomberons, comme la séquence de Miss Peregrine et les enfants particuliers; à ce moment-là, la première étape du tournage avait déjà commencé, il ne restait plus qu’à travailler sur cette partie spécifique que Tim avait voulu comme un hommage aux techniques d’animation classiques. Donc, il fallait que ce travail de tournage soit déjà effectué en amont avant de pouvoir commencer notre boulot. Quel que soit le type de projet, il faut être très organisé, mais peut-être que les projets en full stop-motion demandent plus d’anticipation.

 

Tu as travaillé sur Les Noce Funèbres et Frankenweenie. Que représente le fait de travailler à chaque fois avec une équipe différente plutôt qu’avec le même studio, comme Laika ?

En fait, Les Noce Funèbres a été mon tout premier projet. Ensuite, j’ai enchaîné en Suisse avec Max & Co, puis je suis allé à Portland, en Oregon, pour travailler sur Coraline. Ensuite, je suis revenu à Londres pour Fantastic Mr Fox, et Frankenweenie pour finir. C’est amusant, car j’ai retrouvé sur ce film la plupart des gens ayant travaillé sur Les Noce Funèbres. Entre temps, seules quelques personnes avait quitté l’équipe pour rejoindre d’autres projets, mais beaucoup sont revenues. Il règne donc un sympathique esprit familial sur ces films en stop-motion. Ceux qui sont impliqués forment un groupe de gens incroyablement talentueux, animés par la même passion et qui se serrent les coudes. De plus, jusqu’à très récemment, on ne produisait pas beaucoup de ce type de films, et donc toutes ces personnes vont aussitôt faire profiter le projet suivants de leurs super compétences. C’est tout aussi vrai pour le studio Laika! Pour Coraline, on m’a demandé de rejoindre le plateau pour aider à la composition d’un département et d’amener des U.S les meilleurs membres de l’équipe que j’avais sous la main. Il me semble que la plupart des personnes qui travaillent chez Laika sont Européens et Britanniques, en tout cas les chefs de départements. Évidemment, les choses ont beaucoup changé depuis, étant donné qu’il y a pas moins de trois films en développement actuellement dans les studios de Portland ! Désormais, Laika fait partie des grands noms de l’animation image par image. C’était très sympa d’aller là-bas et de gérer un département, en particulier avec tous les “cadavres” que j’avais ramenés de mon placard 🙂

 

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à animer ?

Eh bien en fait, je n’anime pas vraiment les marionnettes, je ne fais que les construire.  Je plaisante souvent sur le fait qu’il ne vaut mieux pas avoir de marionnette favorite, sinon les autres seront jalouses ! Autrement, je te répondrais que j’ai adoré travaillé sur celles de Miss Pegerine, parce qu’elles étaient glauques et effrayantes, comme tout ce que j’aime depuis que je suis gamin. Quant à mon personnage préféré parmi tous ceux sur lesquels j’ai travaillé, je dirais Chef (L’Île aux Chiens). Il y a plein de raisons à cela. La marionnette était incroyable et c’est un personnage génial dans le film. Je peux aussi te citer le “rat-garou” et le hamster momifié de Frankenweenie oh et aussi les petites marionnettes de Mr Fox. Bref, si je commence, je ne m’arrêterais jamais…

 

Que vois-tu pour l’avenir de la stop-motion ? Penses-tu que le public est désormais plus familier avec cette technique d’animation ?

Quand je travaillais sur Les Noces Funèbres, je crois qu’on a été nombreux à se retrouver à la cafétéria autour d’une table pour déjeuner en se disant les uns aux autres : “Bon, au moins, on a eu la chance de travailler sur le dernier film en animation image par image du monde !” C’était l’époque où l’animation en CGI drainait la plupart du boulot. Aujourd’hui, c’est une toute autre histoire, on compte plus de projets en stop motion que jamais et de brillants réalisateurs de tout horizon se lancent pour la première fois dans l’expérience. Je pense que Les Noces Funèbres a beaucoup fait bouger les choses, tout comme Wes Anderson avec Mr Fox, puis Henry Selick par la suite avec Coraline. Les nouveaux studios s’y mettent aussi – Netflix développe actuellement trois projets dans le genre ! Il faut adresser d’immenses remerciements aux studios Aardman pour le fabuleux travail qu’ils ont accompli et pour leurs films qui ont vraiment permis à la stop motion de continuer d’exister comme une industrie cinématographique de premier plan. Nous sommes désormais à l’opposé de ce que nous pensions en travaillant sur Les Noces Funèbres: il y a davantage de films, pas assez d’équipes et toujours plus de projets en développement. De plus en plus de réalisateurs et d’artisans se plongent dans l’industrie de l’animation image par image.

Je pense aussi que cela a grandement amélioré l’accessibilité aux logiciels d’animation et aux caméras digitales – même sur portable, c’est devenu très simple pour des jeunes de s’y mettre. On connait une explosion de nouveaux talents et on voit toujours plus de genre débarquer des écoles spécialisées. Avec tout ça, je pense qu’un avenir radieux nous attend. Et puis, avec les nouveaux matériaux qui sont sortis depuis, comme les imprimantes 3D, nous pourrons continuellement réinventer nos méthodes de travail.

  

 

Quel est le film sur lequel tu aurais adoré travailler ?

Etrangement, mon film d’animation favori n’est pas en stop-motion ! Il s’agit du Géant de Fer, selon moi une incroyable histoire, superbement animée.

J’aurais adoré travailler sur L’Etrange Noël de Monsieur Jack, ç’aurait été un projet génial auquel contribuer ! Beaucoup de mes amis ont bossé dessus et le film n’a pas toujours pris une ride ! Ç’aurait probablement été mon projet favori, mais si je devais porter mon choix sur un film qui n’est pas encore sorti, ce serait la version de Pinocchio par Guillermo Del Toro et que j’attends avec une grande impatience. Je crois que c’est potentiellement l’un des films les plus visuellement bluffants qui nous attend prochainement.

 

Avec la pandémie, ton travail a-t-il changé ?

Oui : on a eu encore plus de demandes ! Comme nous travaillons tous dans des petits studios, je pense qu’il est bien plus simple pour nous, animateurs de stop motion, d’oeuvrer dans des conditions relativement sûres. Comme de nombreuses équipes de tournage ne pouvaient pas travailler en plateau, beaucoup de gens ont vu dans l’animation en stop motion une alternative au cinéma live et ont donc commencé à s’y mettre.

 

 

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Un grand merci à Andy Gent pour sa disponibilité et son enthousiasme. Un grand merci également à Arnold pour la traduction de l’interview. Interview recueillie par Loïc.