Dans les Rêves de Tim Burton : un voyage musical enchanteur dans la tête du réalisateur


Un parterre de nuages cotonneux, un éclairage tamisé, un écran où tournoie une spirale…

 

Dès le pied posé dans le théâtre de la Tour Eiffel du Square Rapp de Paris, il est évident que nous ne sommes pas entrés dans n’importe quel univers, ni venu assisté à un concert ordinaire.   

En effet, c’est tout à fait littéralement que nous débarquons Dans les Rêves de Tim Burton, spectacle musical imaginé par Philippe Perrin en hommage à l’imaginaire de notre réalisateur fétiche, et, il va sans dire, aux bandes originales du compositeur Danny Elfman.

Le temps d’une heure d’inspirante évasion, le Quatuor Sauvage et Yann Stoffel – une section cordes à quatre têtes et un pianiste s’accordant le droit d’un petit tour régulier du côté des synthétiseurs – convient les spectateurs, là aussi tout à fait littéralement, à un voyage. Celui de Tim Burton, incarné ici par la voix off du comédien Matthieu Dahan, transitant par avion entre Los Angeles (où il travaille) et Londres (où il réside), tarabusté par une crise existentielle et artistique majeure.

Avant même que résonne la première note du concert, les mots qui fâchent sont lâchés : Tim Burton est-il toujours cet artiste passionné et original comme Hollywood n’en connût que peu, ou bien une marionnette aux mains de studios véreux ayant déformé son art au profit de son image de marque ? Une auto-critique placée dans la bouche de Burton, que son public le plus averti n’a eu de cesse de lui reprocher ces dernières années – celui-ci étant souvent accusé, à tort ou à raison, de ne plus se renouveler. L’approche trahit donc une certaine conscience des auteurs du spectacle sur la figure de Burton, ses facettes artistiques, sa popularité, et l’amour- haine dont il est parfois l’objet.

 

Ainsi hanté par ses questions et sa légitimité, comme le sont la plupart de ses héros, Burton va s’abandonner au sommeil le temps du vol et dériver au fil de ses songes sur les airs les plus emblématiques de sa filmographie, avec en bout de course, une potentielle révélation sur lui-même, encouragée par les visites successives de ses personnages parmi les plus populaires. Une approche toute Dickensienne qui renvoie à quelques égards au voyage d’Ebenezer Scrooge dans Le Chant de Noël.

Sur l’écran rectangulaire et tout en hauteur, l’allée de l’avion se trouble et cède la place à diverses images illustratives, toutes épousant l’air du moment. L’entrée en matière dans cette atmosphère se fait, non sur du Danny Elfman, mais le non moins culte Harry Belafonte et sa mirifique Banana Boat Song (mieux connue sous le nom de Day-O), chanson ici réinterprétée en version classique, entrée dans la légende du 7ème Art par la grâce de Beetlejuice (1988). Un choix d’introduction on ne peut plus douce et logique, le bio-exorciste crasseux ayant marqué son retour sur les grands écrans du monde entier quelques mois plus tôt dans Beetlejuice Beetlejuice (2024). 

 

A ce premier immense succès des années 1980 succède l’apothéose populaire absolue du duo Burton / Elfman. Sous les nuages se devinent les gyrophares de la police de Gotham City en même temps que s’annoncent les longues notes sombres du thème de Batman (1989). Sous l’austérité expressionniste et légendaire du bat-signal, s’affichant en grand sur l’écran, les musiciens deviennent tout à coup pourvoyeurs de frissons, nous rappelant toute la maestria de cette bande originale d’anthologie et ramenant Burton au temps où succès populaire se confondait (peut-être un peu déjà) avec les compromis et une vision artistique claire (malgré la mauvaise expérience de tournage, personne au monde ne referait Batman comme cela aujourd’hui). Après cet instant d’enivrantes ténèbres gothiques, c’est une énergie de train fantôme qui cueille le spectateur et l’emmène glisser sur les rails bondissants du thème de Beetlejuice, encore lui – dont la voix suintante de gouaille convie le réalisateur perdu à une fête des sens et de la folie.

Le lâcher prise. Là où Burton a toujours su briller. Et aucune oeuvre plus parlante pour cela que le cultissime L’Etrange Noël de Monsieur Jack (1993), sans doute l’un de ses bacs à sable les plus personnels, alors même qu’il en confia les rênes à son ami et collaborateur Henry Selick. Ainsi, c’est plus d’un quart d’heure de thèmes et de chansons réarrangées empruntés au célèbre film d’animation que le spectacle consacre son concert. On peut même parler ici d’une véritable Suite musicale, mêlant musique de chambre et diverses sonorités Elfmanesques. Kidnap the Sandy Claws, Jack’s Lament, Sally’s Song s’enchaînent entre cordes sautillantes, clavecin et thérémine (oui !) avant de se conclure par un échange entre l’artiste et son héros squelettique, Jack Skellington, ponctué d’un triste constat : avec la reconnaissance vient la perte de l’insouciance. 

 

Une leçon de vie dont Edward, incarné par Johnny Depp dans Edward aux Mains d’Argent (1990), n’a que trop fait l’expérience. Au terme donc de l’instant le plus bouleversant du spectacle, l’homme aux mains cisailleuses (véritable alter ego de Burton s’il en est) s’épanche auprès de son créateur dans une débauche de pleurs et de complaintes (un peu trop insistante et larmoyante pour être tout à fait fidèle au personnage, peut-être ?). Heureusement que Willy Wonka égaye la suite du concert et les humeurs sombres de Burton grâce au merveilleux thème d’ouverture de Charlie et la Chocolaterie (2005), un air toujours plus présent aujourd’hui lors des événements entourant l’échevelé de Burbank, témoignant du statut culte de l’objet, et la sagesse de l’absurde chocolatier de conclure par ses mots, qui auront de l’importance par la suite : le chocolat ne sert à rien, mais tout le monde aime ça. 

Changement d’ambiance et de décors sur l’écran : le vitrail de la série Mercredi (2023) se superpose à la fois au thème sinistre et acidulé composé par Danny Elfman pour la série Netflix et aux quelques paroles misanthropes de Mercredi Addams, détachée, encourageant Burton à ne pas se soucier de l’avis des autres pour mieux faire honneur à son Art. Un interlude bref auquel s’enchainera l’ultime morceau avant rappel : le célèbre thème d’Alice au Pays des Merveilles (2010), somptueuse pièce symphonique, ici merveilleusement arrangée, et sans doute plus bel atout de ce film au succès controversé dans la carrière de Burton qui s’éveille alors.

En guise de dernière friandise, (et après une salve d’applaudissements et une ovation que l’on a sentis longuement et respectueusement contenus), les cinq musiciens classiques gâtent (les dents ?) du spectateur avec une nouvelle Suite consacrée à Charlie et la Chocolaterie reprenant les thèmes des quatre odieux enfants du long métrage inspiré du livre de Roald Dahl. Une ultime petite pirouette de bonne humeur et de sale gosse comme on les affectionne. 

 

Les diverses rencontres et conseils qui jalonnent ce somptueux concert s’agglomèrent au réveil de l’artiste en une citation (enfin !) tirée de Ed Wood (1994) : à quoi bon accomplir les rêves des autres ? Par ce voyage dans le temps, Tim Burton saisit l’absurdité même du cinéma. Comme le chocolat, il ne sert à rien… mais tout le monde aime ça. Burton est un paradoxe et peut ainsi créer comme tel, comme il l’entend, et reprendre sa carrière du bon pied – comme le récent Beetlejuice Beetlejuice tend à l’avoir prouvé après plusieurs années d’échec au box office. On ne sera pas forcément aussi absolu sur la ” non-nécessité” du cinéma – industrie générant de nombreux emplois et vecteurs de consciences s’il en est (on ne pourrait décemment pas taxer de simple divertissement un art aussi politique) – mais dans les rêves de Tim Burton ? Cela a-t-il grande importance, finalement ? 

Si le concert lui-même est un merveilleux moment d’évasion, et que la trame des morceaux de Elfman est aussi respectée que subtilement arrangée par son talentueux quintette, le spectacle est aussi affaire de réflexion, parlant en surface d’un thème universel pour certains spectateurs, mais aussi profond, important et pertinent pour les autres qui se sont interrogés (et s’interrogent toujours) sur les capacités d’imaginaire, intactes ou non, du réalisateur. Et soyez sans crainte : tout s’achève avec une note d’optimisme ! Et cette conscience là est hautement plaisante pour le coeur autant que les oreilles !

 

Certes, nous mentirions en prétendant ne pas avoir guetté avec espoir et un brin d’attente fiévreuse (mais en vain) l’arrivée du thème de Mars Attack ! (1996), de la piste Underwater, issue de Big Fish (2002), le piano duet des Noces Funèbres (2005) ou encore le merveilleux thème de Selina tiré de Batman le Défi (1992). Mais les choix sont les choix et, avec ce duo là, les options sont légion. Peut-être des surprises attendrons-t-elles les spectateurs lors du prochain passage de ce sublime orchestre des rêves ?

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Liens & infos pratiques :

BILLETERIE 

  • Une création originale de Philippe Perrin
  • Adaptations musicales :  Philippe Perrin & Yann Stoffel
  • Textes : Philippe Perrin
  • Voix-off : Mathieu Dahan
  • Créations sonores : Samuel Robineau 
  • Créations visuelles : Dylan Cote et Hugo Le Fur
  • Musiciens : Le Quatuor Sauvage & Yann Stoffel
  • Un spectacle proposé par La Framboise Productions & Space Whale Production