«Ed Wood et moi»

Ed Wood est un bon film sur un mauvais metteur en scène. Son réalisateur dit ici pourquoi ce personnage méritait d’être sauvé.


Il ressemble au loup de Tex Avery sous Prozac. Tim Burton invente des contes noirs (Edward aux mains d’argent, L’Etrange Noël de M. Jack), des fables sur la différence et l’amitié. Avec Ed Wood – incarné par un Johnny Depp rigolard et sautillant – il récrit l’histoire du plus mauvais réalisateur de tous les temps, l’auteur de «Glen ou Glenda», et l’amitié qui le lia à un Bela Lugosi (Martin Landau) toute cape dehors et sur le déclin. Une parabole qui renvoie aux liens que Burton a entretenus avec le comédien Vincent Price. Ed Wood connaît enfin son premier film bien.

L’optimisme d’Ed Wood vous impressionne-t-il ?
Oui, parce qu’il est contagieux. Ed Wood se montrait si enthousiaste qu’il vivait dans l’illusion. Il se persuadait toujours qu’il tournait la plus belle chose au monde. Il était peut-être le seul à le penser, mais qu’importe.

Quels sont vos points communs ?
Il voyait les choses à travers le prisme de sa candeur. Moi, j’ai choisi de les observer à travers ses yeux. Je n’aime pas cataloguer les gens, et tous mes films parlent de tolérance. Ed appartenait à un groupe d’amis qui ne se jugeaient pas. Il portait des robes, des bas, des pulls en angora, et cela n’offensait personne. Cette bande n’avait pas le sou, elle buvait, se droguait mais s’aimait. En écoutant Kathy Wood (sa femme) me raconter ces années-là, j’étais au bord des larmes.

Y a-t-il quelque chose que vous appréciez dans le travail d’Ed Wood ?
[Il se marre.] Rien. Mais, en recréant les scènes, j’ai compris à quel point il était unique. Les spectateurs le considèrent comme un mauvais, pourtant son œuvre – profonde et bizarre – s’ancre dans le subconscient et possède un style étrange, sauvage, qui ressemble à de la mauvaise poésie. Sa marque dépasse le stade de l’exécrable et redevient un signe de qualité.

N’est-il pas pervers de catapulter un loser dans une Amérique qui prône des valeurs conquérantes ?
[Ecroulé.] J’espère bien que si. L’Amérique entre dans une phase effrayante. Autrefois, les gens s’enflammaient pour des sportifs ou des stars de cinéma. Aujourd’hui, les héros sont des criminels. Quel pays étrange, fou, qui ne laisse aucune place à l’émotion. Pas étonnant qu’il y ait autant de dépressifs.

Pourriez-vous écrire un film sur un serial killer ?
A quoi bon ? Les infos s’en chargent en virant aux miniséries de faits divers. Avec leurs titres, leurs logos, leurs tee-shirts et leurs thèmes musicaux.

Ed Wood vous a-t-il donné une leçon de ciné ?
Il m’a appris à vieillir, à assimiler, à grandir. Un film, c’est une psychothérapie très chère que les studios ne comprennent pas toujours.

Pourquoi prenez-vous la liberté de faire se rencontrer Ed Wood et Orson Welles ?
Il y a un lien entre eux. Chacun a marqué le cinéma à sa façon: on considère Welles comme le plus grand metteur en scène du monde et Wood comme le pire. Ils vivaient à la même époque et ramaient autant pour monter leurs films.

Quand Ed Wood commet des navets, il ne souffre pas… Tim Burton, lui, souffre-t-il ?
Je ne revois mes films que de trois à cinq ans après leur sortie, lorsque enfin je peux imaginer que quelqu’un d’autre les a réalisés.

Si vous deviez conseiller trois longs-métrages à un enfant de 10 ans ?
King Kong. Pour le reste, je ne sais pas. Depuis mes 10 ans, je me repasse Mario Bava. Je ne sais toujours pas de quoi ça parle, mais j’aime entrer dans ce rêve. Ce sont mes classiques à moi. Je n’ai vu Citizen Kane qu’il y a deux ans.

Pourquoi n’avez-vous pas dirigé «Batman 3» ?
Je ne voulais pas le faire et je pense que les studios ne voulaient plus de moi. Je l’aurais assombri. Ils désiraient un «Batman» gai.

Vous avez un cauchemar récurrent ?
Je vois des producteurs qui me répètent : «Non !» Entendre soudain «oui» me collerait une crise cardiaque.

Ce pull que vous portez, est-il en angora ?
Non, mais j’en ai déjà essayé : c’est très agréable. Ed Wood avait raison. Azzedine Alaïa devrait se mettre aux vêtements pour hommes.