Dans le clan des marginaux et du poil-à-gratter

Je dois beaucoup à la Belgique, raconte Tim Burton. Il y a 13 ans (?), j’étais animateur chez Walt Disney, et je vins au Festival du dessin animé, avec un court métrage, ” Frankenweenie “. Accueilli telle une star, j’ai compris que je pourrais quitter la volière en or cadenassée de Disney où je jouais les tâcherons sur ” Rox et Rouky ” pour devenir ” quelqu’un “. A Bruxelles, j’ai eu le sentiment d’être aimé, et ça m’a donné la force de briser ma coquille.

Besoin d’amour, besoin d’être aimé pour sa différence, chagrin de ne point l’être parfois. Comme un cigare pittoresque qui comprend que ses cendres donnent, aussi, une magnifique fumée à qui le savoure en planant : tout Tim, 38 ans, est là. Fort des films de son enfance qui ont fabriqué son mental (” La Fiancée de Frankenstein “, ” Les 5.000 Doigts du docteur T “, ” Planète interdite ” : rien que des films ” malades ” !), il choisit le camp des marginaux, de ceux qui donnent leur coeur pour inventer des trucs cracras mais irradiants d’enthousiasmes naïfs (” Ed Wood “). Chez Burton, les ” méchants ” le sont parce qu’on les a fait devenir ainsi par manque de compassion (le Joker et le Pingouin de ” Batman “) et les ” bons ” ne survivent qu’en se noyant dans le conformisme (les provinciaux d’” Edward aux mains d’argent “) ou en cachant leur fêlure sous une cape de chauve-souris, sous la gouaille provocante d’un Beetlejuice ou l’innocence perverse d’un Pee-Wee (” Pee-Wee Big Adventure “, 1985).

Quand l’apparence de méchanceté se mélange à l’apparence de bonté, alors Tim Burton souffle du miel dans le nombril des anges : King Kong est l’allégorie de notre siècle ! Ce gorille géant est le personnage le plus émouvant de l’histoire du ciné américain : à force de vouloir aimer et d’être rejeté pour cela, il casse tout et meurt, beau comme un gratte-ciel dont la pointe a caressé la fesse de Dieu. Et Tim créa Edward aux mains en ciseaux, le petit frère de King Kong… Le cinéaste ajoute (et il pense à lui) : Faire de son destin une immense malchance ou une magnifique réussite sont les deux cas de figure d’une vie qui en vaut la peine; le malchanceux est un type qui produit une chose certes médiocre, mais la graine d’amour qui a fait naître ce ” machin ” est emplie de passion, de révolte et de tendresse – cette graine germera et le pauvre Duschnock aura sa place parmi les génies, il sera l’Illustre Inconnu !

Chaque jour que vit Burton est un étrange Noël de M. Jack : producteur (” Batman Forever “), il est courtisé à Hollywood; auteur, il se transforme en contrebandier et introduit des puces sauvages dans l’ordinateur du système : Mes Martiens sont agressifs mais amusants. Les hommes de ” Mars Attacks ” sont bêtes mais ambitieux. Le spectateur ne sait donc dans quel camp basculer (dans celui des Martiens, j’espère, car ils sont du clan du poil-à-gratter). Je mets le public en déséquilibre; position où on peut basculer vers ce qu’on est vraiment.