Un singe peut en cacher un autre

Tim Burton revisite «La Planète des singes», le film culte de Franklin J.Schaffner


N’eût été la personnalité de son réalisateur, voilà un projet que l’on aurait rapidement ravalé au rang d’entreprise vouée à l’échec. Revisiter, à quelque trente ans de distance, «La planète des singes», film de Franklin J.Schaffner et mythe cinématographique partagé par des générations entières de (télé)spectateurs relevait de la gageure. Difficile, en effet, de surpasser l’impact initial de l’histoire conçue par Pierre Boulle, de gommer de l’imaginaire collectif la vision de Charlton Heston en pagne ou l’apparition finale de la statue de la Liberté.

LA TERRE, OU PRESQUE

Cinéaste visionnaire à l’imaginaire débridé, Tim Burton était à l’évidence l’un des rares à pouvoir se frotter à ce film-culte, sentiment conforté dès les premières scènes de sa «Planète des singes» – purs moments de magie visuelle.

Nous sommes dans une station spatiale, aux alentours de 2030, en compagnie d’une équipe de scientifiques menant des expériences sur des chimpanzés. Un enchaînement malheureux de circonstances et voilà l’un des chercheurs, Leo Davidson (Mark Wahlberg), égaré dans l’espace-temps à bord d’une petite navette qui s’écrase bientôt sur une planète inconnue.

L’astre ressemble curieusement à la terre, à cette nuance d’importance près: il est gouverné par les singes, tandis que les hommes y sont tenus en esclavage. Fait prisonnier, Leo reçoit le concours bienveillant d’Ari (Helena Bonham Carter), avenante guenon et militante des droits de l’homme, pour s’évader d’abord, tenté de bouleverser l’ordre en place ensuite. Rejoints par des hordes d’humains en guenilles, les voilà défiant la puissante civilisation singe et son armée redoutable, menée par le général Thade (Tim Roth), un être cruel décidé à laver la planète de la vermine humanoïde…

TIMIDEMENT BURTONIEN

Ce classique, Burton se l’approprie d’abord, dispensant un propos volontiers acide et non dénué d’humour dans un univers d’une noirceur assumée – la ville-singe et ses somptueux décors. Un cap que le réalisateur ne maintient qu’un temps, la teneur corrosive du propos se diluant bientôt dans un message certes généreux mais consensuel, non sans que la narration d’ensemble épouse les contours prévisibles d’un film de science-fiction mâtiné d’action.

C’est dire qu’on a le désagréable sentiment que le cinéaste a dû faire le deuil de la part la plus exubérante mais aussi la plus sombre de son imaginaire, ampleur du projet oblige. Ce, même si «La planète des singes» présente une facture visuelle imparable: les décors sont merveilleux, jusqu’à l’épave du vaisseau spatial, semblant sortie tout droit de l’imagination de Gaudi, là où Rick Baker témoigne de son génie du maquillage. Et que l’on retrouve à l’occasion la griffe du réalisateur d’«Edward aux mains d’argent», à la faveur d’un questionnement permanent sur l’homme et son identité, mais encore d’une pirouette finale en forme d’habile pied-de-nez.

Ajoutés à cela un rythme aiguisé, une interprétation épatante – Tim Roth est proprement sensationnel, là où Helena Bonham Carter introduit une touche d’ambiguïté et que Mark Wahlberg assure sans sourciller – et le clin d’oeil qui tue, sous forme d’une apparition de Charlton Heston, et on tient un film de science-fiction nettement plus inspiré que la moyenne, un divertissement finement ciselé.«La planète des singes» est assurément un bon film; reste que, eu égard à la personnalité de son réalisateur, on était en droit d’en attendre un excellent. Pour «La planète, le retour», peut-être?