L’hymne à la mort de Tim Burton

Le réalisateur de « L’étrange Noël de Mr Jack » revient à l’animation. Un bijou, attendu fin octobre. Coup de cœur aussi pour deux films que tout oppose.

Rarement un film de festival aura aussi bien porté son étiquette : hors compétition. Ou hors concours. Et pour cause : « The Corpse Bride » (sortie le 26 octobre sous le titre « Les noces funèbres ») est, dans son genre, un film parfait. Un bijou, digne héritier du premier film d’animation conçu et produit par Tim Burton il y a une dizaine d’années. Après « L’étrange Noël de Mr Jack », Burton et son nouveau complice, Michael Johnson, livrent là une fable éblouissante sur l’amour et la mort.

Un jeune homme (à la voix de Johnny Depp) issu d’une famille de nouveaux riches doit épouser une fille de souche aristocrate… mais désargentée. Le mariage est arrangé, et tandis qu’il s’éclipse un instant dans la forêt, Victor est subitement happé par une créature, mi-fée mi-cadavre (voix d’Helena Bonham-Carter, madame Burton), qui l’emmène dans le monde des morts afin de l’épouser à son tour. Un monde aussi bohème, fêtard, alcoolisé et coloré que celui des vivants est redoutablement austère et gris.

Nous avons rencontré en exclusivité Tim Burton au lendemain de la présentation officielle de son film à la Mostra. Un film qu’il vient de terminer – vendredi passé. Derrière ses grandes lunettes fumées et ses oripeaux de corbeau noir tendance The Cure, le réalisateur savoure. Nous aussi !

Dans « The Corpse Bride », le monde des vivants ressemble à un endroit mort.
C’était le concept de départ. Le monde des vivants ressemble à de la mort, de la rigidité et de la répression… chose que vous pouvez parfois ressentir en société. Alors que le monde de la mort est, pour moi, symboliquement celui de l’imaginaire et de la créativité. C’est, dans le film, un monde de vibrations et de couleurs.

Cette attirance pour la mort, elle vous vient d’où ? Vous avez vécu un traumatisme ?
Non… le traumatisme, c’est maintenant, à l’instant. [Il rit.] Non… je ne trouve pas du tout que c’est un film sombre. Je le trouve, au contraire, plein d’espoirs. Si ça avait été un film d’action réel, je ne dis pas… Mais ici, c’est un conte de fées, qui permet de travailler dans le symbolique.

D’où vient cet hommage à la bohème ?
Certains m’ont dit que c’était forcément un récit juif. Je ne sais pas. Mais mon attention a été captée dès que j’ai vu le titre, « Corpse Bride » (NDLR : littéralement, la « mariée-cadavre »). C’est tiré d’un conte russe. Mais on a apporté des éléments de la comédie musicale, en pensant par exemple à Cab Calloway. Pour le monde des vivants, on a plutôt pensé à quelque chose de victorien, rigide, presque fasciste. Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours eu un vrai problème avec toute forme d’autorité et de bureaucratie, exactement l’inverse de la créativité. Par contre, mon monde des morts ressemble à… En fait, maintenant que je suis ici, à quelque chose comme Venise [rire]… juste un peu plus coloré.

C’est un hommage aux artistes et aux « bad boys » ?
C’est, en tout cas, un film fait avec beaucoup d’artistes, puisqu’on a travaillé avec de vraies marionnettes. En plus, j’ai eu le plus beau casting du monde. Pour toutes les voix, j’ai eu plein de gens de talent (NDLR : Depp, Bonham-Carter, mais aussi Emily Watson, Christopher Lee, Albert Finney…) qui sont venus comme ça, sans faire de l’argent, mais avec une approche artistique.

Depp avait déjà prêté sa voix à un film d’animation ?
Non. Vous savez, nous avons tellement travaillé ensemble que nous sommes aujourd’hui très proches. Nous avons le même sens de l’humour et le même type de regard sur les choses.

Est-ce que les enfants vont entrer dans cet univers ?
Tout le monde me dit que c’est trop sombre pour eux. Mais on m’avait déjà dit la même chose avec « L’étrange Noël… », et les enfants avaient aimé. Les chiens aussi. Dès qu’on met ce film en DVD, les chiens se calment et se prosternent devant l’écran. Alors vous voyez, mes films sont pour tout le monde.

Vous donnez précisément l’un des seconds rôles du film à un chien mort, dont on ne voit se trémousser que le squelette.
Oui, je fais décidément une obsession… Malheureusement, les chiens ne vivent pas longtemps, et je sais de quoi je parle.
Alors, ce film est aussi dédié à beaucoup de chiens morts, qui m’ont jadis tenu compagnie et m’ont eux-mêmes dédié l’intégrité de leur âme vagabonde.

Après « Charlie et la chocolaterie », c’est votre grand retour à l’animation.
La différence majeure, c’est que ce film-ci est un film à très petit budget, inférieur de deux tiers à la majorité des films d’animation. Tout a été fait et tourné à la main, puis on a enregistré sur du numérique. Mais ce sont dix ans de travail. Michael Johnson a bossé tous les jours. Moi, je supervisais davantage, c’était plus confortable. Ce qui nous importait, c’était de donner aux marionnettes une qualité presque tactile.

Dans « Charlie », comme dans « Corpse Bride », vous apportez une vision personnelle, que d’autres ne pourraient imposer. Comment ça se passe avec les studios ?
Je dois reconnaître qu’ils sont corrects. Sur « Corpse Bride », ils ont été très bien, parce que, quand même, c’est un film à petit budget et ils ne comprenaient pas vraiment bien l’idée. [Rires.] Moi, le problème que j’ai, c’est avec tout l’aspect marketing, que je n’aime pas et que je trouve particulièrement agressif. Alors, j’essaie tant que je peux de me concentrer sur mes films.

Votre compagne vient de nous dire que vous qui avez quitté les Etats-Unis pour Londres, vous ne reviendriez sans doute jamais là-bas.
C’est sans doute vrai. A Los Angeles, il y a un tel business que vous devenez vite claustrophobe. Tout le monde est là-bas et tout le monde appréhende le cinéma en termes de business. C’est la raison pour laquelle je suis heureux d’être ici. Mais j’ai encore un pied à New York, qui est une ville très fourmillante et qui me nourrit.