Conférence de presse de Tim Burton à la Cinémathèque – lundi 5 mars 2012 : compte-rendu

À la sortie de l’exposition, nos deux fiers représentants se sont glissés dans la salle Henri Langlois pour assister à la conférence de presse. Pendant près d’1h c’est un Burton, certes probablement moins détendu qu’il ne le sera l’après-midi face à ses fans au cours de la Master-Class, mais sympathique et souriant qui répond aux questions des journalistes, au cours d’une discussion orchestrée par Serge Toubiana et Costa-Gavras, respectivement Président et Directeur général de la Cinémathèque française.

Tim Burton au musée

Costa-Gavras et Serge Toubiana ouvrent la séance en abordant la genèse de l’exposition et l’histoire de sa venue à la Cinémathèque. Tim Burton a immédiatement accepté de voir cet événement traverser l’Atlantique, « parce que c’est Paris, et parce que c’est la Cinémathèque », appréciant de le voir finir sa course en France, un pays qui, selon lui, sait apprécier le cinéma en tant qu’art et pas seulement en tant qu’industrie, et où on peut donc parler des films et y réfléchir. Il est cependant à chaque fois terrifié à l’idée de voir affichées sur les murs d’un musée des choses qui n’avaient jamais été destinées à être vues. Lui, l’enfant de la banlieue de Los Angeles, qui a dû attendre la fin de son adolescence pour mettre pour la première fois les pieds dans un musée, se retrouve soudainement mis à l’honneur par certains des plus grands centres culturels du monde. Il n’en oublie cependant pas d’où il vient et se déclare rassuré par l’aspect résolument carnavalesque et joyeux donné à l’exposition qui parvient à attirer, à son tour, ces jeunes qui ne vont jamais au musée.

Concernant le contenu de l’exposition, Burton tient à remercier les commissaires de l’exposition (qui ont fait le déplacement pour l’occasion) Jenny He et Ron Magliozzi, pour « avoir donné l’impression que je suis quelqu’un d’organisé ». Il décrit le travail quasi archéologique qu’ils ont dû effectuer pour mettre en place cet événement, fouillant sa maison de Burbank, retournant à son école, cherchant à réunir tous ces morceaux de papiers dont il se désintéresse, lui, toujours très vite, dès le désir créatif du moment passé. Un travail étrange et de longue haleine mais qui semble s’être effectué dans une grande confiance et une certaine complicité entre l’artiste et les commissaires.


Histoire de l’Art et Séries B

Après quelques problèmes techniques permettant à Tim Burton de souligner avec humour à quel point il est fâché avec la technologie, Serge Toubiana aborde la question du dessin comme moyen d’évasion :

Comme vous pouvez le constater je ne parle pas très facilement, répond Burton, alors c’est quelque chose qui a toujours été un moyen de communication privilégié pour moi, c’était un moyen d’explorer mon subconscient sans vraiment parler. C’est en devenant réalisateur que j’ai dû apprendre à parler aux gens.

Il explique qu’il a un rapport très instinctif au dessin, il dessine en se laissant guider par une émotion, un ressenti, ce qui lui permet d’arriver à quelque chose de plus personnel et de plus vrai qu’avec une approche intellectuelle, et c’est seulement quand un dessin devient récurrent qu’il commence à réfléchir à ce qu’il va pouvoir en faire.

En entrant à 18 ans à Cal Art, l’école d’animation créée par les studios Disney, Burton se voit obligé de rationaliser ce rapport au dessin. Une expérience frustrante, mais qui fut finalement libératrice, grâce à quelques professeurs qui l’ont conforté dans cette vision très instinctive de cet art en lui disant « dessine juste ce que tu ressens, dessine ce que tu peux » ce qui bouleversa sa vie. Les questions sur le bagage académique qu’il a reçu à Cal Art en matière d’histoire de l’art sont d’ailleurs rapidement éludées par l’artiste, qui déclare avoir surtout ressenti une connexion avec les films de série B dont il se nourrit depuis toujours, se sentant proche des monstres incompris qu’étaient la créature de Frankenstein ou celle du Lac Noir… Lorsque Serge Toubiana et Costa-Gavras évoquent l’idée qu’en faisant entrer la série B au MoMA il a contribué à lui donner ses lettres de noblesse, il confirme que la différence que l’on veut faire entre un art noble et un cinéma populaire n’existe pas pour lui :

La réaction du monde de l’Art a été assez… grossière. Mais, comme je l’ai dit, le meilleur compliment que j’ai reçu a été que des gamins viennent voir l’exposition et se disent « si il peut le faire, moi aussi ! » et d’inspirer les gens qui pensaient qu’ils ne pouvaient pas dessiner ou créer des choses, eux qui habituellement ne vont pas dans les musées.

Du dessin au cinéma

Une question qui revient régulièrement autour de l’exposition, est d’essayer de comprendre le lien qu’entretiennent tous ces dessins, que le grand public découvre, avec le cinéma de Tim Burton, et comment ces projets griffonnés parviennent ensuite à prendre vie. « Cela montre un processus, comment on a une idée qui jaillit et qui va ensuite entamer une sorte de mutation organique en quelque chose d’autre.» Certaines peuvent alors parfois mettre des années avant de trouver leur place dans un projet, et d’autres sont finalement abandonnées en route. Il évoque également cette époque où, les studios Disney ne sachant trop quoi faire de lui, il a passé près d’un an enfermé dans une pièce avec pour instruction de dessiner tout ce qui lui passait par la tête, ce qui fut une période de grande créativité au cours de laquelle il a lancé un certain nombre de pistes qu’il ne réutilisera que bien plus tard, dont notamment les bases de L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Un moyen d’évoquer les relations amour-haine qu’il entretient depuis toujours avec les studios Disney, studios l’ayant renvoyé puis réengagé un certain nombre de fois, et qui l’ont rapidement tenu à l’écart de leurs grands dessins animés de l’époque, tout en lui accordant la possibilité de réaliser ses premiers courts-métrages, Vincent et Frankenweenie. Il est d’ailleurs aujourd’hui reconnaissant à Disney de l’autoriser à faire un remake de ce dernier, afin de lui permettre de donner définitivement à cette histoire la forme dont il avait toujours rêvé : un long métrage en stop-motion et en noir et blanc.

Tim Burton et Hollywood

Depuis, le cinéaste a également entretenu des rapports complexes avec l’industrie hollywoodienne. Il déclare avoir toujours essayé d’apporter une touche personnelle à ses films, d’aborder les différents sujets de son point de vu à lui : Edward Aux Mains d’Argent montre ce qu’il a ressenti toute son enfance en grandissant dans la banlieue de Los Angeles, et Ed Wood parle de la difficulté de faire les films dont on rêve à Hollywood. Que ses films soient considérés ou non comme des films commerciaux par les studios, il essaye de ne pas trop y penser, et de les traiter chacun comme une œuvre personnelle. Il parvient d’ailleurs toujours à plus ou moins obtenir le final cut, même si faire des films reste quelque chose de difficile et une lutte de tous les instants :

Je pensais qu’après quelques succès ça allait devenir facile de faire des films. Beetlejuice avait bien marché, Batman avait bien marché… Et c’est alors que Edward Aux Mains d’Argent a été le film le plus difficile à lancer de ma vie. J’ai donc réalisé assez tôt que chaque film est un combat, ce qui est plutôt une bonne chose finalement, c’est bien que ce soit quelque chose de difficile de faire […] Après, une fois qu’on se retrouve catalogué comme quelqu’un de bizarre, peu importe le succès que l’on peut avoir, ils pensent toujours qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez vous […] Je me sens toujours comme quelqu’un de normal alors je ne comprends pas trop leur opinion de moi, mais à partir du moment où j’ai compris que chaque projet était difficile j’ai abordé tout cela avec beaucoup plus de philosophie.

En tout cas, lorsqu’on lui demande si il se verrait un jour changer complètement de style pour s’adapter à une demande, un genre, ou juste tenter autre chose (comme faire un film « réaliste »), la perspective semble plutôt le faire rire :

J’admire vraiment les réalisateurs qui peuvent faire des choses différentes, aborder des genres différents. Moi je ne me sens pas assez expert en la matière, et j’ai l’impression que même si un jour j’essayais de faire quelque chose de différent, ça finirait toujours par explorer certains thèmes qui me sont chers, alors je pense que si je faisais un western ou un film policier ce serait très bizarre, ou mauvais.

Si lui a à présent trouvé une place spéciale dans le système, peut-on encore être original à Hollywood ? A son sens oui, il s’amuse même d’un système qui rêve de trouver la formule pour faire d’un film un succès certain, et d’être capable de prévoir ce qui va marcher ou pas, alors que pour lui la beauté du cinéma réside aussi dans son imprévisibilité : personne ne peux savoir quel impact chaque film aura sur le public, et il y a des succès surprises chaque année, ce qui est une très bonne chose.

Londres

Aujourd’hui, Tim Burton semble avoir définitivement mis sa vie californienne derrière lui, notamment en s’installant à Londres où il vit depuis maintenant quelques années et où il a travaillé à maintes reprises. Un moyen de se tenir éloigné de la pression des studios ? « J’ai grandi à Los Angeles, et ça reste chez moi, mais vous savez Hollywood est un endroit très à part où l’on perd rapidement toute notion du monde extérieur. Et puis j’aime le temps, et j’aime marcher, si vous marchez dans les rues de Los Angeles la police vous arrête pour vous demander ce que vous faites… » Il évoque surtout le plaisir qu’il ressent à vivre dans un pays qui n’est pas le sien « Il y a un sentiment très étrange que j’ai éprouvé en grandissant, celui de me sentir culturellement à part, étranger, alors en m’installant dans un autre pays où j’étais vraiment un étranger, je me suis senti bien plus chez moi. »

Une ville d’adoption où il n’a cependant pas souhaité voir s’installer l’exposition. «C’est parce que la presse est juste horrible avec moi là-bas » répond-il en riant à moitié. Il évoque surtout une volonté de préserver sa vie privée ainsi que celle de ses enfants, et de leur épargner l’étalage de critiques négatives sur son travail d’artiste qu’il pense que l’exposition ne manquerait pas de susciter.

Références

Burton est également interrogé sur ses références cinématographiques. Si certaines sont évidentes et parcourent toute son œuvres de manière assumée, comme son affection pour les films de Frankenstein ou Dracula, d’autres sont plus ponctuelles, comme celles à Kubrick. Des clins d’œil que l’on retrouve dans le clip qu’il a réalisé pour le groupe The Killer, mais surtout dans Charlie et la Chocolaterie, où les citations lui sont venues, à lui et à son équipe, de manière naturelle et instinctive et semblaient juste coller dans l’ambiance de la Salle de Télévision. Il en profite pour saluer le talent et le pouvoir d’inspiration de celui qui l’a précédé à la Cinémathèque. Il parle aussi de son rapport à la cinéphilie et des festivals et rétrospectives qu’il fréquente assidûment :

il y a des années je suis allé à un festival qui proposait 48h de films d’horreur d’affilés […] Et c’était incroyable. Au bout de deux films je me suis dit « ouh, je ne vais pas tenir… », et puis ça s’est transformé en rêve, on finit par oublier quand un film s’achève et quand le suivant commence… C’était une expérience très forte, […] c’est là que j’ai vraiment réalisé toute la puissance du cinéma, et à quel point il peut capter l’essence des rêves.

Faisant lui aussi son entrée dans les musées après près de 30 ans de carrière, Tim Burton sent-il qu’il est à son tour devenu une référence et que toute une génération a grandi avec ses films ? « J’essaye de ne pas trop y penser… Vous savez, vous passez toute votre vie à essayer de devenir un être humain, et Hollywood ne vous aide pas trop, alors pour moi c’est mieux de ne pas trop y penser et de juste créer et laisser son travail parler pour soi. »

Les enfants, les monstres et la mort

Les monstres sont au centre de l’exposition et du travail de Burton, qui s’est rendu compte très tôt qu’ils faisaient finalement plus peur aux adultes qu’aux enfants. Ce sont les adultes qui craignaient que L’Etrange Noël de Monsieur Jack soit trop sombre, et ce sont eux qui ont tendance à oublier que même les dessins-animés des studios Disney ont toujours contenu des éléments effrayants (« les meilleurs moments » selon Burton). La plupart de ces films sont d’ailleurs tirés de contes et de légendes qui, au départ, tiennent plus du récit horrifique que du « conte de fées » comme on peut l’entendre aujourd’hui, « pour moi les contes ont toujours été un moyen pour les enfants de commencer à essayer de comprendre le monde, à travers des éléments symboliques et un peu abstraits. » Pour lui les enfants sont les meilleurs juges de ce qu’ils peuvent supporter de regarder ou non, et ses parents racontent qu’ils avaient bien plus peur que lui quand, dès l’âge de 3 ans, il regardait déjà des films d’horreur avec une certaine fascination. Aujourd’hui il n’hésite donc pas à montrer son Alice au Pays des Merveilles à sa fille du même âge, et semble tout fier lorsqu’il explique qu’elle a développé une certaine fascination pour War of the Gargantuas, dont elle imite parfaitement les monstres mangeurs de chair humaine recrachant les vêtements de leurs victimes…

Est-ce parce qu’en grandissant les adultes ont appris à avoir peur de la mort que ces monstres incarnent parfois ?

Dans la culture où j’ai grandi c’était toujours un sujet très tabou, mais en même temps à Los Angeles il y a cette immense communauté mexicaine qui célèbre la Fête des Morts qui est en fait, un événement plutôt joyeux, avec des squelettes qui font des choses marrantes et tout… Alors quelque part j’ai eu accès à une autre culture qui pour moi avait une approche de la mort bien plus intéressante et qui célébrait plus la vie que la culture dans laquelle j’ai grandi, où l’on voyait la mort comme quelque chose de sinistre dont il ne faut pas parler.

Musique

Depuis le début de sa carrière il a été extrêmement rare que Tim Burton ne soit pas accompagné de son fidèle compositeur Danny Elfman. Il a également fait appel à plusieurs reprises à des chanteurs connus pour leur demander de faire une petite apparition musicale dans ses films, comme Tom Jones, Prince, ou Alice Cooper dans son prochain film. On sent qu’il s’agit donc d’un élément de ses films qu’il ne néglige pas.

J’écoute toujours de la musique quand je travaille sur mes projets. Elle ne finit pas toujours dans le film, mais parfois elle m’inspire : je me souviens par exemple avoir écouté The Wall de Pink Floyd chaque matin en me rendant sur le tournage de Batman, ça n’avait pas forcément de lien direct mais pour moi ça collait. Mais la seule fois où j’ai vraiment lié les deux c’était pour Sweeney Todd, ce que j’ai vraiment adoré, parce que c’était comme faire un film muet : il y avait tout le temps de la musique sur le plateau, et cela affectait la façon de bouger des acteurs, et c’était vraiment marrant, et beau. Ça m’a fait réaliser que des fois c’est amusant de diffuser de la musique sur le plateau, s’il n’y a pas de dialogues, ça permet aux acteurs de ressentir les choses autrement, de bouger avec, de créer un environnement différent, ce qui est assez intéressant.

De l’importance de la création

Cette exposition permet donc à Tim Burton d’apparaître comme un artiste complet. Il n’est pas seulement un réalisateur, mais aussi un auteur, un dessinateur, quelqu’un qui semble éprouver le besoin vital de toujours être en train de créer, et ce depuis sa plus tendre enfance.

Oui c’est bien de toujours s’occuper, sinon vous savez, vous sombrez juste dans une profonde dépression… approuve-t-il en riant, le moment le plus important de chaque jour est celui où vous prenez juste le temps de réfléchir au calme, ce qui est particulièrement dur dans le monde moderne où il se passe tellement de chose, où l’on est si occupé par toute cette merveilleuse technologie, alors c’est important de garder le temps de penser, de rêver, de dessiner, ou d’écrire, pour moi c’est là qu’on fait le plus important.

Cela coïncide avec l’idée de Serge Toubiana que l’exposition respire la joie de vivre et, surtout, la liberté, en montrant un artiste qui arrive à s’affranchir de toutes les peurs et de toutes les contraintes grâce au pouvoir du dessin et de la création sans limites.

Je pense que tout le monde a besoin de pouvoir libérer ses joies, ses peines, sa part de lumière, d’ombre. Je pense que c’est important pour chaque individu de pouvoir s’exprimer de quelque manière que ce soit. On ne peut pas garder ce genre de sentiments refoulés, alors je recommande toujours à tout le monde de créer, que ce soit pour gagner sa vie ou juste pour soi, c’est simplement quelque chose de très important à faire.

Compte-rendu, traduction et photos par Eledhwen, relecture et modifications par Laston et Loïc.