
Entretien avec Florence Cheron
Florence Cheron a publié en 2023 sa thèse sur le cinéma ré-imaginé de Tim Burton. En 2012 elle a également participé au Colloque sur les Horreurs Enfantines organisé par la Cinémathèque Française pendant l’exposition dédiée à Tim Burton. Florence a répondu à nos questions à l’occasion de nos 25 ans.
Florence Cheron, docteure en études cinématographiques, ma thèse portait sur le concept de réimagination dans le cinéma de Tim Burton. J’ai soutenu fin 2016 et une version remaniée de mes recherches est parue en 2023 chez Artois Presses Université. J’ai beaucoup écrit sur les films de Tim Burton et de façon plus large sur le cinéma de genre.
Actuellement, avec l’équipe d’Images secondes, nous sommes en train de finaliser le prochain numéro de la revue, qui porte sur les images opérationnelles. Un univers vraiment passionnant et d’autant plus instructif qu’il est très éloigné de mon champ de recherches. Quand je ne suis pas en tournage ou à intervenir dans les écoles de cinéma, j’écris dans L’Écran fantastique. Quelques articles sont à paraître en 2025.
Quand as-tu découvert l’univers de Tim Burton ?
Comme beaucoup de personnes nées dans les années 1980, le cinéma de Tim Burton a toujours fait partie de mon environnement culturel et est ancré depuis le début dans ma cinéphilie. C’est l’un des rares réalisateurs dont j’ai suivi la carrière au fur et à mesure, sans avoir à faire beaucoup de rattrapage. À partir de Batman Le Défi, j’ai vu tous les films à leur sortie et ceux qui précèdent grâce au vidéoclub du coin de la rue. Ce devait être dans les années 1990-2000.

Pourquoi avoir choisi Tim Burton comme sujet de thèse ?
L’aventure a commencé avec mon Master en études cinématographiques. Je l’ai consacré à la présence du cinéma dans trois films de Tim Burton : Batman, Sleepy Hollow et Sweeney Todd. Son œuvre s’est imposée comme support d’analyse en raison du rapport particulier que Tim Burton entretient entre sa cinéphilie et ses choix de mise en scène. La thèse, puis sa version publiée, est le prolongement de cette première recherche.
Quant au sujet lui-même, mon algorithme de cinéphile a fait une bonne partie du boulot sur des années. C’est certainement un fonctionnement universel mais lorsque j’apprécie le travail d’un cinéaste, j’essaie de voir tous ses films, puis ceux dans lesquels jouent ses acteurs récurrents, ceux qui abordent les mêmes thèmes, ceux auxquels le cinéaste fait référence, et ainsi de suite. Tim Burton était un des cinéastes au centre de l’algorithme, ma cinéphilie s’est donc partiellement organisée à partir de son œuvre et comme la filmographie de Tim Burton est elle-même très marquée par sa cinéphilie, le sujet s’est présenté de façon assez évidente. La théorisation est arrivée plus tard.
Cette cinéphilie est également très prégnante quand on regarde les photographies ou les peintures de Tim Burton, il y aurait matière à réfléchir. Je laisse ce sujet à d’autres !

Son adaptation de la vie d’Ed Wood est souvent considérée comme son meilleur film mais il est pourtant méconnu du grand public. Comment expliquer la différence d’intérêt des spectateurs pour ses films ?
Je ne suis pas penchée sur ce phénomène mais il y a plusieurs hypothèses à envisager. Idéalement, il faudrait procéder film par film, et observer les conditions de programmation aussi.
D’abord, Ed Wood, tout comme Big Eyes, se détache de la filmographie de Tim Burton car ce film n’appartient pas au cinéma de genre. Or, il me semble que le grand public réclame surtout du Tim Burton quand il exerce dans le champ du cinéma fantastique. Ed Wood était donc, dans une certaine mesure, voué à être boudé par les fidèles du cinéma burtonien. Il était plutôt destiné à intéresser un autre type de public. Et trouver un public pour un film en noir et blanc sur le plus mauvais réalisateur de tous les temps n’était pas un pari gagné d’avance !
Ed Wood est le seul film de Tim Burton a avoir été en sélection au Festival de Cannes, ce qui est à double tranchant. Le cinéaste fait son entrée dans une sphère qu’aucun qualifiera d’élitiste, composée de gens très loin d’un cinéma grand public comme le pratique généralement Tim Burton. Avec Ed Wood à Cannes, Tim Burton navigue dans un univers qui n’est pas le sien et on peut imaginer que son public habituel n’a pas suivi car il n’est pas celui de Cannes.

Ensuite, la réception des films récents en noir et blanc interroge beaucoup. On y voit la signature d’un réalisateur qui réfléchit à l’image et à ce qu’elle peut raconter, qui ne mise pas tout sur le scénario et donc qui fait une proposition esthétique et intellectuelle supplémentaire. Cependant, le public n’est pas forcément disponible ou disposé à visionner un film qui pourrait sembler le prendre de haut. On rattache aussi le cinéma en noir et blanc au passé et aux films de patrimoine, à quelque chose d’ennuyeux et qu’on pourra toujours voir plus tard ; le vieux étant déjà vieux rien ne presse. Le noir et blanc est une stratégie peutêtre trop radicale pour le grand public qui lui préfère une esthétique moins austère, plus fun.
Il faudrait finir sur le fait que tous les films de Tim Burton n’ont pas eu les mêmes chances en salles, question de dates de sortie, de concurrence, de politique de programmation. Ed Wood est sorti à peu de copies et peu de cinémas ont projeté Big Eyes, comparé à La Planète des Singes ou à Charlie et la Chocolaterie par exemple. Même avec d’excellentes critiques, un film qui n’est pas programmé rencontrera difficilement un public.
Quel regard portes-tu, en tant que scripte, sur la filmographie de Tim Burton, lui qui se sert essentiellement de l’image plutôt que du texte ?
Le métier de scripte consiste à superviser la continuité du film. Cela revient à être le tout premier spectateur, pendant la préparation et le tournage. C’est la personne qui s’assure à chaque instant que les enjeux narratifs et esthétiques initiaux sont respectés. C’est notamment faire en sorte que, malgré une organisation de tournage qui impose de filmer les différents morceaux du scénario dans le désordre, le spectateur puisse s’immerger dans un univers vraisemblable et une histoire cohérente, où tout est raccord. Le moindre accroc de continuité entre les plans et les séquences peut faire sortir le spectateur du film. Le respect du sens du texte n’est donc qu’une partie du travail.

Tim Burton aime travailler sur l’ambiguïté de la réception. Il en montre tout le dilemme dans Ed Wood, lors du tournage de Bride of the Monster, au moment où Thor se cogne contre le chambranle de la porte, faisant trembler tout le décor. Le chef opérateur d’Ed Wood lui fait remarquer qu’il faudrait faire une deuxième prise car l’acteur a eu un accident sur celle-ci, sous-entendant que si le réalisateur monte la première prise, le spectateur se rendra compte que la maison n’est qu’un décor. Il ne croira alors plus à l’histoire puisqu’il la sait truquée. Ed Wood considère au contraire que la prise est authentique – « ça aurait pu lui arriver dans la vraie vie » explique le réalisateur. Il est donc sûr que le spectateur recevra le plan comme cohérent et réaliste, cette prise incarne la vraisemblance de l’histoire. Deux réceptions sont possibles, le public pourrait donc être confus et ne pas bien saisir les intentions initiales.
La relation de Tim Burton à la cohérence de ses histoires est un sujet foisonnant puisque dans le cinéma fantastique, il y a une part d’irrationnel, de quelque chose qui, à un moment donné, échappe à la logique de notre quotidien. Ce décrochage, ce choix de croire ou pas en la fiction, est même l’un des enjeux de Sleepy Hollow où Ichabod Crane passe une partie du film à se demander s’il doit croire ou non à l’existence du fantôme. Il a donc un problème d’interprétation et doit choisir entre le rationalisme et le merveilleux. C’est un peu le même chemin qu’effectue Will Bloom dans Big Fish. Alice au Pays des Merveilles est également intéressant car le personnage répète sans cesse qu’il ne croit pas en ce qui lui arrive et tout, dans l’image au rendu ultra-transformé, renforce cette idée, comme si le spectateur ne devait pas croire à cette histoire. Et s’il ne doit pas croire à cette histoire ci, ni aux éclaboussures de sang pas du tout réalistes dans Sweeney Todd, en quoi doit-il croire ? À en lire les critiques, le public semble plus apte à accepter le fantastique quand il naît au sein de la narration, à travers un personnage par exemple, plutôt que par des effets de mise en scène qui ne sont, pourtant, pas moins pleinement assumés comme fantastiques.

C’est l’un des aspects que je trouve particulièrement intéressants chez Tim Burton. Le mal fait est toujours vecteur de sens et doit conduire le spectateur à réfléchir à ce qu’il regarde et à comment il regarde un film.
Quel est ton quotidien de chercheuse en cinéma en France ?
Je suis chercheuse associée au laboratoire LARA-SEPPIA mais la recherche ne fait pas vraiment partie de mon quotidien. Elle intervient quand mes activités professionnelles me laissent du répit ou quand on me sollicite pour parler ou écrire sur un sujet en particulier.
Je n’ai pas envie de faire carrière dans le milieu de la recherche en cinéma et mon rapport à celui-ci est aujourd’hui très loin de ce qu’il était pendant mon doctorat ou la rédaction du livre sur Tim Burton. Mon approche est devenue plus légère. La recherche m’intéresse toujours mais ma pratique n’est pas représentative de celle qui fait vivre les universitaires notamment.
Qu’est-ce qui attire les jeunes de maintenant à se lancer dans des études de cinéma ?
Je ne suis pas certaine que les motivations actuelles des jeunes soient très différentes de celles d’il y a 10 ou 20 ans. La plupart des étudiants veulent faire du cinéma, raconter des histoires par le biais de ce médium. C’est avant tout la pratique qui les attire, le cinéma reste une usine à rêves. Les jeunes se lancent dans les études de cinéma pour entrer dans cette industrie. Sa découverte, même théorique, est très stimulante. Certains se tournent ensuite vers d’autres champs du septième art comme l’économie, la recherche, la conservation, la programmation, mais ce sont généralement des aspirations qui naissent avec les études, rarement avant, d’après les retours que j’ai de mes anciens étudiants.

La différence majeure entre hier et aujourd’hui serait le secteur d’activités dans lequel les jeunes veulent exercer. « Cinéma » est trop réducteur à l’heure des plateformes et des contenus immersifs. Les ambitions sont plus variées qu’avant mais toujours majoritairement tournées vers la pratique et les métiers médiatisés. De plus, ce qui est marquant, c’est que grâce aux technologies récentes, les étudiants pratiquent déjà, à leur manière, via les réseaux sociaux. Malgré cette expérience, le cadre des études de cinéma leur semble nécessaire pour se professionnaliser.
Editions Artois
Association Les Scriptes Associés
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Un grand merci à Florence pour avoir partagé son regard sur le cinéma de Tim Burton avec nous !