
Interview de Mathias Malzieu
Véritable artiste multifacettes, Mathias Malzieu touche à tout et surtout aux cœurs des Français. Que ce soit avec son groupe de rock Dionysos qui remplit les Zéniths depuis plus de 30 ans, ses films d’animation et live-action aussi poétiques que singuliers, ou bien ses romans très personnels qu’il raconte dans toute la France, Mathias ne cache pas son amour pour l’univers de Tim Burton qui l’inspire depuis toujours :

Je suis Mathias Malzieu et je suis en ce moment en spectacle où je défends mon livre L’Homme qui Ecoutait Battre le Cœur des Chats. C’est une histoire de résilience après avoir perdu un enfant à naître, du point de vue de mes chats. C’est à la fois un livre, un album et un spectacle dans lequel je porte un masque de chat. C’est une formule de théâtre / comédie musicale de poche qui me passionne, avec des marionnettes et un écran de projection.
J’ai aussi commencé un nouveau livre sur l’histoire que ma mère aurait pu avoir si on ne l’avait pas interdite de chanter à Oran dans les années 50. Il y aura un âne, qui parle qui s’appelle Albert Camus, qui défend la nuance et qui est détesté à Oran à la fois par les colons et par les nationalistes.



Ensuite je travaille avec Stéphane Berla, avec qui nous avons fait La Mécanique du Cœur, sur le développement d’un nouveau long-métrage d’animation. Nous en sommes vraiment qu’aux prémices. On sait que malheureusement les projets de films n’aboutissent pas toujours, mais l’envie est très forte et on est très heureux de retravailler ensemble.
En 2006, la tournée de Dionysos pour l’album Monsters In Love comporte des arbres morts sur scène, des musiciens possédés et surtout le titre Giant Jack. Quel lien as-tu avec l’univers de Tim Burton ?
Les arbres, c’était un clin d’œil direct à l’univers de Burton. Je voulais une forêt enchantée et magique. D’ailleurs, nous entrions sur scène avec le thème musical “Ice Dance” d’Edward aux Mains d’Argent.


Burton a toujours été très important pour moi parce que c’est un raconteur d’histoires. Les gens pensent souvent qu’il se base uniquement sur l’imaginaire et la bizarrerie, mais pas seulement. C’est un conteur qui utilise les outils du magique, de la poésie et du fantastique pour mieux raconter le réel. C’est en ça qu’il m’intéresse.
J’aime cette esthétique qui mélange à la fois l’enfantin, le gothique et le tendre, entre l’expressionnisme abstrait et le surréalisme pop. Il mélange tout, se l’approprie et invente son propre style. J’aime les histoires qu’il raconte et comment il les raconte. C’est un créateur de monde, comme Steven Spielberg et George Lucas pour le cinéma ou comme Salman Rushdie et Boris Vian pour la littérature. Je suis d’ailleurs étonné que Tim Burton et Tom Waits n’aient pas encore collaboré. Ce sont des gens que je trouve inspirants, excitants et stimulants.
Il y a très longtemps, nous avions partagé sur notre site une nouvelle concernant une adaptation du recueil de poèmes La Triste Fin du Petit Enfant Huître en chanson. Peux-tu nous parler de ce projet inachevé ?
Effectivement sur l’album Haïku (1999) j’avais pris un bout du texte du Petit Enfant Huître et j’en avais fait une chanson un peu torch song, piano voix. C’était une chanson de crooner un peu âpre, mais l’ambiance n’était pas trop Elfman-Burton justement. Pour ne pas faire du ton sur ton, on s’était inspiré davantage de Nick Cave que Danny Elfman vu que j’adore les deux. Malheureusement nous ne sommes jamais parvenus à avoir l’autorisation de Tim Burton ou de son éditeur. Même si on prenait qu’un extrait du texte, parce que la nouvelle est assez longue, il fallait absolument avoir l’autorisation. Je pense que notre maison de disque de l’époque ne s’était pas trop foulée parce que ce n’était pas un texte qui allait être en édition chez eux, donc ils ont laissé tomber. C’est dommage parce que j’aimais beaucoup cette version.
D’ailleurs, j’ai rencontré Tim Burton lors de son exposition à Paris en 2012. J’étais invité sur France Inter avec lui et Jean-Pierre Jeunet. C’est une des questions que je lui ai posées : “quand est-ce qu’il y aura un deuxième livre?” Il m’avait dit qu’il ne savait pas trop. Il avait écrit ça quand il galérait sur le projet avorté Superman Lives. Je trouve que ça a donné un super recueil.

A l’instar de Tim Burton, tu utilises plusieurs médiums pour raconter tes histoires : la musique, les images et le texte. Comment navigues-tu entre tous ces moyens d’expression ?
Je navigue au désir, à la passion et à la pensée en arborescence joyeuse, c’est-à-dire que lorsque j’ai une idée de personnage, je me demande ce qu’il pourrait chanter, écouter et lire, ou à quoi il ressemblerait dans un film ou en animation. Des fois ça donne des clips, des fois carrément un film, comme pour Jack et la Mécanique du Cœur ou Une Sirène à Paris. Par exemple en ce moment avec L’Homme qui Ecoutait Battre le Cœur des Chats, comme je racontais mieux mon histoire en me mettant à la place de mon chat, je me suis dit que ce serait génial d’avoir également un masque de chat sur scène, un peu comme dans la commedia dell’arte. Parfois derrière un masque, on se révèle encore plus.



Contrairement à Tim Burton, je ne sais pas du tout dessiner. Je prends beaucoup de plaisir à travailler avec des gens comme Sébastien “Le Turk” Salamand, Stéphane Berla ou Nicoletta Ceccoli. Je peux faire de la direction artistique avec des illustrateurs mais je ne sais pas dessiner comme lui.
Les clips Neige et Tais-toi Mon Cœur sont des lettres d’amour envoyées à l’animation en stop-motion sans pour autant en être. Le film Jack et la Mécanique du Cœur devait se faire en stop-motion également. Peux-tu nous parler de ton rapport à l’animation ?
Ces clips ont été réalisés par Stéphane Berla, co-réalisateur de Jack et la Mécanique du Cœur. On a réfléchi ensemble aux histoires, mais c’est bien lui le seul réalisateur de ces clips. Je les adore toujours mais avec le recul, ils sont presque un peu trop marqués par l’univers de Tim Burton. C’est aussi un peu le cas du film même si je trouve qu’on est arrivé à sortir de l’univers de Burton avec le côté western et ces personnages à têtes démesurées. C’est bien d’aimer Tim Burton, mais il faut savoir digérer ses influences et je pense qu’on était encore en cours de digestion sur Jack et la Mécanique du Cœur. Sur le prochain film d’animation, notre amour pour Burton n’aura pas faibli, mais je pense qu’il faudra qu’il soit encore plus digéré. Je suis très content de ces clips, ce qu’a fait Stéphane est très beau. Le clip de Neige avec ce personnage Burtonien perdu dans le noir et blanc, avec un style de films d’enfance en Super-8 avec des passages live, est vraiment très particulier. Tais-toi Mon Cœur est un peu plus attendu mais je l’aime quand même beaucoup.
Concernant la stop motion je ne sais pas si c’est difficile d’avoir des budgets costauds pour ça mais j’ai eu la chance que Luc Besson produise Jack et la Mécanique du Cœur. Maintenant peut-être qu’avec le film d’animation français Flow (2024), il y aura de nouvelles façons de faire de l’animation. Évidemment, je suis un amoureux de la stop-motion grâce à Tim Burton, Wes Anderson, au vieux film russe Le Petit Hérisson dans la Brume (1975) etc. Il y a une magie organique qui est difficile à atteindre en images de synthèse. Mais il y a quand même des films en 3D que j’adore. Les films de Pixar comme Wall-E (2008) sont très beaux par exemple.
Nous fêtons nos 25 ans et Dionysos a récemment fêté ses 30 ans avec l’album L’Extraordinarium dont la couverture a été dessinée par un fan : Sébastien Monchal. Quel est ton rapport avec les surprisières et surprisiers depuis tant d’années ?
Bon anniversaire à vous ! On a fêté nos 30 ans en tournée l’an dernier et avec l’album l’année d’avant. Dionysos a déjà 32 ans. L’année prochaine on aura l’âge du Christ et de la bière 33 export ! Sébastien Monchal a gagné un concours de fanart que nous avions lancé pour nos 30 ans. Avec les personnages qu’il a fabriqués, il a amené un style un peu Nicoletta Ceccoli et Burton, proche de l’esprit de Jack et la Mécanique du Cœur. Il y avait plein d’autres propositions qui étaient super mais le but pour nous était ensuite de le décliner en pochette et en visuels pour le spectacle, donc son idée des bulles de rêves était vraiment géniale. Et c’est vrai que l’ombre de Tim Burton plane un petit peu là aussi, mais encore une fois c’est une question de dosage. Je pense qu’elle ne m’abandonnera jamais vraiment et tant mieux. Mais il faut faire attention à ne pas tomber dans le côté fan. Là c’était justifié parce que c’étaient nos 30 ans et c’était un concours de fanart, mais comme l’expression “kill your darlings” le dit, en scénario ou en chanson, il faut enlever la guitare qu’on aime beaucoup mais qui est en trop afin d’être plus efficace ou poétique.

Le rapport que j’ai avec les surprisers et surprisières est extraordinaire. Je sors de spectacle là et l’émerveillement des gens qui viennent me faire signer les livres et les disques est un privilège. J’appelle ça des cousins télépathiques. C’est une chance, 32 ans plus tard, de continuer à réaliser des rêves pareils, de les rendre si réels, si organiques et si simples humainement. C’est beaucoup de travail, mais c’est du travail joyeux. Je ne peux que remercier les gens qui me suivent depuis longtemps, comme ceux qui viennent de monter dans le bateau. Certains sont descendus et remontés mais la vie elle est faite comme ça. Il y a plein d’auteurs que j’adore à un moment donné et avec qui je décroche à d’autres, même si je les aime encore. On est branchés sur une autre fréquence, et puis on y revient par une nostalgie joyeuse, ou lorsqu’il y a un nouveau disque, un nouveau film ou un nouveau livre. Pas mal de gens qui lisent L’Homme qui Ecoutait Battre le Cœur des Chats m’ont dit “ah mais moi je ne vous suivais plus depuis La Mécanique du Cœur mais cette histoire m’a touchée”. C’est des oscillations aussi tendres que passionnantes.
Y a-t-il une histoire, un personnage ou un dessin de Tim Burton dont tu aurais voulu avoir la paternité ?
Il y a beaucoup d’œuvres de Tim Burton que j’aurais aimé faire ou dont j’aurais aimé avoir l’idée. Evidemment Edward aux Mains d’Argent reste pour moi le plus impactant avec de la poésie, de l’humour, du décalage et de la tendresse. Il comporte un romantisme hors du temps, avec une histoire très sérieuse mais qui, en même temps, ne se prend jamais au sérieux. Il y a un côté Boris Vian chez les gothiques.

Par contre Big Fish est le film qui me touche le plus, probablement parce que je venais de perdre ma mère. J’ai lu le livre qui est très bon, mais l’adaptation qu’il en a faite est géniale, il s’est vraiment emparé du livre. Le personnage d’Ed Bloom qui a d’un côté une vie authentique et de l’autre une vie rêvée crée une sorte d’équilibre. La synchronicité parallèle entre fiction et réalité est très émouvante je trouve. C’est vraiment un film que j’adore parce qu’il est plein de contrastes, des choses très réelles comme le deuil, la paternité, la transmission, et des choses enchantées qui disent encore plus sur le réel, comme cette histoire de géant, de voyage, de village qu’on ne peut plus quitter, de forêt…
Pour moi, quand il y a dans ses films une espèce de ligne de crête entre le réel et l’imaginaire et qu’on ne sait pas de quel côté on va tomber, ça crée un suspense émotionnel dont il est l’un des grands maîtres.
- L’Homme qui Ecoutait Battre le Cœur des Chats: la tournée
- L’Homme qui Ecoutait Battre le Cœur des Chats: le livre
- L’Homme qui Ecoutait Battre le Cœur des Chats: l’album
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Merci infiniment à Mathias d’avoir trouvé du temps entre deux concerts pour répondre à nos questions !